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Dossier Spécial COP27 : Le chercheur de SONYA, Samuel Lietaer, a présenté aux Grandes Conférences Namuroises comment le dérèglement climatique fait bouger…des personnes impactées, des finances, et des citoyens engagés
Alors que la COP27 vient de s’achever ce dimanche 20 novembre, nous proposons de revenir, à travers une série d’articles, sur les différentes activités menées par les chercheuses et chercheurs de SONYA durant les deux semaines du sommet climatique. Le troisième article de ce dossier spécial répond à trois questions concernant le dérèglement climatique, à savoir comment celui-ci « fait bouger » : 1. des personnes impactées par celui-ci ; 2. l’argent (« le financement climatique ») et 3. Des citoyens (engagés) ?
Les Grandes Conférences namuroises ont invité Samuel Lietaer pour discuter de ces trois enjeux-clés. Ces enjeux n’avaient évidemment pas la même place dans les négociations climatiques de la COP 27 à Sharm-el-Cheikh. Si le deuxième enjeu – le financement climat – était central pour qualifier cette COP de « réussie » par les pays du Sud, la première et la troisième question sont plutôt périphériques dans les négociations. En se basant sur sa présentation, les paragraphes qui suivent vous expliquent brièvement comment et pourquoi.
Le premier volet de la présentation concernait donc les impacts du dérèglement climatique sur les mobilités humaines à travers le monde. En effet, ces impacts ne se font donc plus uniquement sentir dans les pays du Sud. Si ces derniers restent de loin les plus vulnérables aux conséquences de ces dérèglements climatiques (voir WorldRiskIndex), les contrées du Nord, dont la Belgique, ont également souffert des impacts causés par ceux-ci ces dernières années – et elles le seront davantage dans le futur. Pensons aux travaux de renforcements sur notre côte belge : pour préserver les 67 km de côte, les autorités flamandes ont débuté en 2011 un gigantesque plan d'aménagement. Le budget total du plan sigma est de 300 millions d’Euros. En Wallonie, on se rappelle des inondations de l’été 2021 qui ont frappé terriblement le sud du pays, les Pays-Bas et l’Allemagne. Notre chercheur SONYA avance quelques chiffres et résultats des causes issues de sa recherche dans le cadre de la UNU -Climate Resilience Initiative.
Dans ce cas belge, par exemple, peut-on parler ici de ‘réfugiés climatiques’, lorsqu’on s’adresse aux plus de 3500 personnes sinistrées qui ont dû être relogées ailleurs, parfois à durée indéterminée ? Non, ce serait un abus de langage, pour plusieurs raisons, et principalement parce que ces sinistrés ne satisfont pas les critères de la Convention de Genève de 1951 pour être qualifiés de réfugiés. Ces personnes possèdent pourtant des caractéristiques des « migrants climatiques », plus particulièrement d’impacts brutaux et rapides liés aux stress hydro-climatiques. Le fait que ces sinistrés ne traversent pas de frontière, n’empêche pas d’être qualifiés de ‘déplacé climatique’, ou même de ‘migrant climatique interne’. Cependant, d’autres facteurs entrent en compte dans l’attribution des aléas qui ont causé cette catastrophe « naturelle » (sic). La planification de l’aménagement du territoire semble clairement joué un rôle déterminant sur l’ampleur de la catastrophe - une responsabilité des politiques (et, en nettement moindre mesure des citoyens).
Le message-clé : on ne peut quasiment jamais attribuer une décision de déplacement (forcé) ou de migration (planifiée) au seul changement climatique. Il y a toujours plusieurs variables qui influenceront les mobilités humaines, et donc la pluralité de termes désignant celles-ci est appelée à perdurer. Ce volet conclut que cette multi causalité des facteurs migratoires expliquent en partie la faible protection et assistance accordée aux ‘migrants/réfugiés/déplacés climatiques’. Par exemple, la migration liée au climat n'est pas à l'ordre du jour aux Conférences des Parties (COPs), bien que la migration puisse être évoquée dans les discussions sur l'adaptation et les pertes et dommages résultant du changement climatique. La COP n'est pas le lieu où les migrations et les déplacements liés au climat seront résolus. Mais c'est un endroit où les pièces importantes du puzzle peuvent se mettre en place.
Le deuxième volet concerne l'argent utilisé pour lutter contre le changement climatique - le "financement climatique". Cela se présente sous de nombreuses formes, ce qui signifie que sa mesure est une tâche gigantesque et complexe (voir la figure ci-dessous ; PNUE, 2022).
Cette partie faisait le lien avec le premier volet, notamment en ce qui concerne l’attribution des effets du changement climatique. En d’autres termes : les responsabilités qu’entraînent les émissions de gaz à effet de serre, historiques et actuelles. Ceci amenait le chercheur à expliquer le concept-clé de justice climatique, qui se décline principalement en justice intergénérationnelle et géographique. Les impacts du dérèglement climatique causés par les GES n’affecteront pas de la même manière les générations qui ont émis les GES (personnes décédées ou âgées), ni les principaux territoires et pays émetteurs de GES (dans le Nord global). L’injustice est également intragénérationnelle, que ce soit sur un même territoire ou géographiquement distinct. En effet, les personnes ayant moins de ressources financières, ont une empreinte carbone généralement inférieure que les personnes nanties. Pourtant, ce sont elles qui sont souvent plus vulnérables aux effets du dérèglement climatique. Par exemple, lors des inondations en Wallonie : les personnes moins nanties habitaient le plus souvent en bordure du lit des fleuves et rivières qui ont débordé).
Par conséquent, les jeunes et les pays du Sud demandent aux COPs de mettre en œuvre le financement climat, qui se décline principalement en deux volets. Le chercheur explique qu’il a été entériné par l’Accord de Paris en 2015 par tous les pays du monde.
Premièrement, en ce qui concerne le financement climatique mondial (article 2 de l’Accord de Paris), il s’agit d’abord de ‘shifting the trillions’, tant dans les pays du Nord que ceux du Sud. Tous les Etats se sont en effet engagés à réorienter les flux financiers et les investissements des énergies fossiles vers des investissements nécessaires pour réaliser une transition écologique, c’est-à-dire rendre nos sociétés et modes de vie (et de consommation) compatibles à la donne du changement climatique. Pensez, par exemple, au mouvement divestment (contraction en anglais de disinvestment des hydrocarbures et de reinvestment en énergies renouvelables), qui prend d’ailleurs de l’ampleur aussi en Belgique. Cela implique de parler tant des grandes entreprises que des PME, ainsi que des investissements institutionnels et citoyens (entre autres, dans des coopératives d’énergies), de leurs placements bancaires et même des fonds de pensions. Quels critères ‘verts’/’climatiques’ adoptent-ils ? En Belgique, des organisations comme FairFin/Financité, ou encore The Shift asbl tentent d’accélérer cette urgente transition.
Deuxièmement, il s’agit de la question du financement climatique international, qui inclut la question brûlante des « pertes & préjudices » (loss and damage). En effet, nombreux sont ceux qui affirment que la "mobilisation" du financement est la clé pour débloquer l'action contre le changement climatique dans le monde. Et ce, tant en termes de réduction des émissions de GES, qu’au niveau de l’adaptation aux effets du dérèglement climatique. Les infrastructures d'énergie renouvelable, l'efficacité énergétique et les projets d'adaptation nécessitent des investissements. Sans ces investissements, certains pays disent qu'ils ne peuvent pas ou ne veulent pas construire ces infrastructures. En plus des « 100 milliards de dollars par an » pour ces deux volets (atténuation et d’adaptation), les pays du Sud demandent depuis plusieurs années un nouveau fonds pour les pertes et préjudices causés par les effets du CC. Il s'agit également d'un outil essentiel pour débloquer la volonté politique et la confiance, comme l’ont encore une fois montré les négociations à Charm-el-Cheikh. Si ce fonds a finalement pu être crée en Egypte, l’enveloppe est encore très loin de se remplir…alors même que l’écart entre les besoins d’adaptation et les fonds reçus (adaptation gap) n’a cessé de grandir (PNUE, 2022).
On conclut ce volet par rappeler le constat central des inégalités sociales mondiales (rapports d’Oxfam ; Hickel et al. 2021). D’une part, la croissance nette du Nord repose sur l'appropriation du reste du monde. D’autre part, le discours sur l'aide masque une réalité plus sombre, celle du pillage. Les pays pauvres développent les pays riches, et non l'inverse. Pour le Sud, les pertes dépassent largement les transferts d'aide étrangère. Pour chaque dollar d'aide que le Sud reçoit, il perd 14 dollars en termes d'égouttage par le seul biais des échanges commerciaux inégaux, sans compter d'autres types de pertes comme les sorties financières illicites et le rapatriement des bénéfices.
Le troisième volet concernait l’impact de l’urgence climatique sur l’engagement citoyen.
Après une brève contextualisation historique du mouvement climatique, le chercheur y a abordé trois formes d’activisme : les marches pour le climat, l’activisme judiciaire et les actions de désobéissance civile. L’idée était de montrer comment ces formes d’actions citoyennes font bouger le curseur de la norme sociale, de l’acceptabilité sociale de l’urgence climatique et donc les ouvertures de mises à l’agenda politique (pour davantage d’action climatique). Le concept de la fenêtre d’Overton est un outil analytique intéressant à cet égard.
Premièrement, les grandes marches pour le climat sont abordées. En résumé, il y a à peine une dizaine d’années, les marches pour le climat étaient plutôt considérées comme une affaire de ‘bobos-écolos’. Graduellement, ces marches sont devenues accessibles à toutes les franges de la population, notamment grâce aux activistes climatiques (e.g. du Climate Express) qui visaient délibérément de mobiliser le plus de citoyens possibles. Mission plutôt réussie - malgré des participants ‘blancs’ en grande majorité - , puisque ces marches atteignaient autour de 100.000 participants avant la crise de la COVID-19. Les élèves et étudiants se sont mis en grève (Youth for Climate ; Fridays for Future…), ainsi que de nombreux secteurs économiques de la société belge. Et ce, malgré les tentatives des médias d’opposer les gilets verts (la fin du monde) aux gilets jaunes (la fin du mois). Il s’agit pourtant des deux revers de la même médaille de transition : sans social, pas d’écologie et vice versa. Ensuite, vue l’inaction climatique des gouvernements, d’autres formes d’activisme ont commencé à prendre de l’ampleur, et à devenir plus accessibles à leur tour.
Deuxièmement, on fait un saut vers l’activisme judiciaire, qui fait de plus en plus partie du répertoire d’action collective pour la cause climatique. A partir de 2015, on observe une judiciarisation du conflit climatique à partir d’une dynamique d’un contentieux transnational. C’est devenu un mouvement global, avec des procès très politiques, qui remettent en cause et impactent la gouvernance du climat. En 2015, dans l’affaire Urgenda, 900 citoyens néerlandais ont poursuivi le gouvernement néerlandais pour l’obliger à faire plus pour prévenir le changement climatique. Le tribunal de première instance de La Haye a ordonné à l’État néerlandais de respecter l’engagement actuel du gouvernement de réduire les émissions afin de respecter la contribution équitable de l’État envers l’objectif des Nations unies de maintenir les augmentations de la température mondiale dans les 2°C. La Cour avait conclu que l’État avait le « devoir » de prendre des mesures d’atténuation du changement climatique en raison de la « gravité des conséquences du changement climatique et du grand risque de changement climatique ». C’est la première décision dans le monde ordonnant aux États de limiter les émissions de gaz à effet de serre pour des raisons autres que les législations nationales. Suivront une décision en Belgique VZW Klimaatzaak c. Le Royaume de Belgique (recours en appel en cours), reprenant le même argumentaire et demandant le même type de responsabilité à l’État, ainsi qu’une affaire Leghari c. Fédération de Pakistan, toutes deux de 2015 également.
Troisièmement, le chercheur termine par les actions de désobéissance civile en commençant par montrer une petite vidéo illustrant ces actions citoyennes moins conventionnelles et plus controversées. Plusieurs grandes actions de ce type ont eu lieu récemment en Belgique et à travers le monde. Elles respectent encore aujourd’hui toutes une ligne rouge : la violence est une ligne claire qui ne doit pas être franchie. C’est aussi pourquoi les associations environnementales faîtières en Belgique francophone et néerlandophone (resp. BBL et Canopeia) soutiennent celles-ci. Ces coupoles ont choisi de toujours entrer en dialogue. Avec les décideurs politiques, les entreprises, les syndicats et les groupes d'action. Même - et surtout – lorsqu’ils ne sont pas d'accord avec eux. Cependant, à la COP 27, de nombreux militants climatiques ont été emprisonnés par les autorités égyptiennes, pour le simple fait de vouloir manifester…
Nous devons tous trouver la bonne porte de sortie ensemble. Pensez à un plan de neutralité climatique pour les entreprises, ou à l'accélération des rénovations de nos maisons. Ce dialogue est-il toujours suffisant ? Non. Un processus démocratique se déroule par à-coups et n'est jamais parfait. Mais les pionniers et les politiciens clairvoyants entraînent les autres. Les messages d’alertes des activistes ne font que relayer ceux des scientifiques. Sans réponses urgentes, ils risquent à termes de passer de l’actuel éco-activisme désobéissant à des formes d’activisme plus radicales, voire d’écoterrorisme.
Finalement, le chercheur conclut la conférence avec quelques pistes de réflexions et certaines questions ouvertes qui devraient faire partie du débat public en vue de répondre à l’urgence climatique. Sommes-nous prêts à encourager et faciliter la migration des plus vulnérables, de manière à les mettre à l'abri des impacts changement climatique ? Sommes-nous capables de changer de paradigme économique afin de sortir d’un modèle économique basé sur la croissance du PIB (produit intérieur brut), pour aller vers un modèle de post-croissance économique (une croissance sélective) ou de décroissance ?
LIETAER Samuel